Lettre aux etudiants en architecture
Lettre aux étudiants en architecture
Pour une nouvelle architecture qui respecte l’utilisateur ancré dans son environnement.
Je vous livre dans cette lettre ma vision du métier d’architecte après 25 ans d’exercice en France puis en Algérie.
Il est vrai que le métier d’architecte est passionnant, mais cette passion ne suffit pas à elle seule, il faut de la générosité et du don de soi pour le bien-être des autres.
Notre société est désemparée, entre le retour à des traditions qui n’ont d’autre issue que d’être modernisées, mises à jour et adaptées à nos besoins contemporains et les images superficielles venues d’ailleurs qui déferlent telles des vagues gigantesques pour nous étouffer et nous empêcher de réfléchir afin que chaque société trouve ses propres solutions.
Jeunes, vous avez les capacités d’imagination pour permettre le renouvellement de nos habitats partout dans le pays en y apportant une sensibilité nouvelle, la vôtre, au service d’un utilisateur ancré dans son environnement. Sur quoi devez-vous vous appuyer ? Sur votre capacité à voir et plus encore, à bien voir ; en effet comment expliquer qu’aujourd’hui malgré l’accès facile au savoir dont nous disposons, nous continuions à proposer des réponses inadaptées partout dans le pays ? Etudiants en architecture, vous devez observer ce qui vous entoure et vous intéresser aux modes de vie des gens qui sont si différents entre les régions du nord, des hauts plateaux et du sud du pays. Si vous devez concevoir un bâtiment à Tamanrasset ou à Ghardaïa, il est indispensable d’y passer du temps pour absorber le mode de vie, le « digérer », puis proposer des solutions contemporaines, nouvelles et inattendues. Si votre solution est adoptée par les utilisateurs alors l’architecture a gagné d’être respectée, sinon il faut chercher l’erreur pour ne plus la reproduire.
Ne cédez pas au formalisme gratuit qui produit des images spectaculaires pour susciter une mode par définition éphémère. Vous devez faire preuve de générosité et d’écoute pour produire l’inattendu qui comble le vide d’architecture.
Le désastre que vit l’architecture notamment dans notre pays n’est pas que de la faute des AUTRES ; nous, architectes, devons prendre notre part de responsabilité. Pour aimer ce métier, il faut le défendre sur le terrain par des créations fonctionnelles et harmonieuses qui répondent aux besoins d’un utilisateur ancré dans son environnement. Si nous refusons de nous battre pour cela, alors c’en sera fini de l’architecture, et j’ai bien peur que ça n’en prenne le chemin. Sinon, comment expliquer ce que nous observons chaque jour : un formalisme gratuit pour flatter l’ego de qui ? L’utilisation de certains matériaux comme « cache-misère » enveloppe nos villes dans la laideur. Nous devons, nous architectes, être à l’avant-garde de l’esthétique et de l’harmonie tout en étant conscients que nous ne savons pas tout. Le sociologue, le géographe, l’urbaniste, l’architecte, le designer, l’artiste, l’ingénieur et tous les corps de métiers sont les maillons qui composent l’acte de bâtir et d’aménager le territoire. Il n’est pas possible que l’architecte seul rassemble toutes ces facultés car l’échelle et la nature du travail ne sont pas les mêmes. Un urbaniste qui travaille habituellement sur des territoires de plusieurs dizaines d’hectares se sentira à l’étroit sur une parcelle de 1000m² ; un architecte se sentira à l’étroit dans un espace de 20m² que le designer trouvera parfait pour exprimer toute son imagination.
Alors soyez heureux d’être le maillon de la chaîne qui rassemble tous ces savoirs, mais ayez conscience aussi que vous ferez toujours moins bien la partie du travail de l’autre. Trop souvent vous serez tenté de vous croire urbaniste, ingénieur ou architecte d’intérieur-designer, ne répondez pas par facilité à toutes ces sirènes, entourez-vous de professionnels dans chacun de ces domaines, vous gagnerez leurs respect, vous travaillerez dans un esprit d’équipe aux compétences complémentaires, seule manière de retrouver vos repères d’architecte catalyseur de toute cette équipe.
Vous constaterez que les plus gros ratages se produisent souvent dans un seul sens, lorsqu’un architecte fait de l’urbanisme (sans y être formé), lorsqu’un designer fait de l’architecture ; on peut même extrapoler vers un urbaniste qui fait le géographe, donc de l’échelle inferieure vers l’échelle supérieure.
Notre métier d’architecte se trouve aujourd’hui particulièrement ciblé par TOUS, votre premier client sera très probablement une sorte d’ « architecte non diplômé » qui voudra vous donner des directives pour lui dessiner ce qu’il veut ; soit vous acceptez et vous n’êtes plus architecte avec un grand A, soit vous notez avec une grande précaution ses besoins, puis vous lui proposez la ou les solutions adaptées par des dessins et des maquettes et prenez le temps nécessaire pour lui ouvrir les yeux sur toutes les potentialités de son terrain, de l’ensoleillement, du voisinage, du bruit routier ou tout simplement d’une perspective sur un élément végétal de qualité qu’il vous aura demandé de supprimer.
Pourquoi alors que tout ou à peu près tout se met à jour, se modernise (les machines, les voitures, les ordinateurs, les avions, les équipements divers, etc.), exceptionnellement pour l’architecture, je constate que les décideurs publics ou privés souhaitent une mise à jour en retournant au passé ? Si la référence devient l’architecture du passé -dans une vision qui n’en retient que les signes superficiels et non la vraie nature-, alors arrêtons de former des architectes pour chercher des solutions nouvelles. Il est inacceptable d’enfermer de la sorte toute une profession et l’empêcher de s’épanouir et tout simplement d’exercer sa fonction.
Votre seule arme reste le travail bien fait, pour vous défendre devant des Maîtres de l’Ouvrage qui n’accepteront pas une argumentation, aussi brillante soit-elle, si vos dessins, plans et maquettes disent autre chose, alors bien faire ce que vous avez à faire vaudra mieux que n’importe quel discours, car tout ce que vous pourrez construire avec des mots, ce sera des phrases mais jamais des bâtiments.
Lounès Messaoudi architecte